La cassette d'Eyes Without a Face de Billy Idol dans le walkman, les cabines téléphoniques comme refuges des amours contrariées, le fixe à cadran qu'on laisse sonner deux fois - plan secret mis en place devant le lycée pour que l'autre comprenne qu'il doit décrocher avant son "vieux"... Ou ce chewing-gum, qu'on retire juste avant le premier baiser, aussi maladroit qu'ineffaçable, et qu'on garde comme un précieux trésor.
Avec son très attenduL'Amour ouf, dévoilé dans les salles obscures mercredi 16 octobre 2024, Gilles Lellouche rembobine les années 80 en même temps qu'il nous raconte un âge sans époque : l'adolescence. "Cette période autant excitante que destabilisante, où on a envie de faire croire à ses parents qu'on a de l'expérience alors qu'on découvre tout", résume joliment Vincent Lacoste, lors de notre rencontre. Il ne lâche pas des mains le poche Jackie loves Johnser OK ?,de l'auteur irlandais Neville Thompson, réédité à l'occasion de la sortie de cette adaptation au budget et distribution hors normes.
François Civil s'amuse de l'attachement de Gilles Lellouche aux prénoms "quand même un peu pourris", et indatables, des jeunes héros romantiques. Lorsqu'ils s'enamourent, Clotaire et Jackie ont 17 ans. Comme le nombre d'années à rêver à ce film pour son réalisateur.L'Amour oufmêle romance adolescente et film de gangsters. Presque de mafia, à l'américaine. Cela, sur fond de lutte de classes.
Premier et grand amour
Dans la première partie de Clotaire (Malik Frikah, bouleversante révélation), fils d'un docker violent (Karim Leklou), zone avec sa bande de potes. Jusqu'au jour où "la nouvelle", élève studieuse qui débarque d'un bahut privé catholique, ose lui tenir tête.
Jackie(Mallory Wanecque) et Clotaire plongent alors ensemble dans la passion du premier amour, mais lui joue au petit bandit. Et puis... Arrêt brutal de l'idylle, saut dans le temps : place aux deux acteurs chéris du public français, François Civil etAdèle Exarchopoulos, pour incarner le tandem à l'âge adulte.
Ça se rattrape comment, dix ans ? On reprend comment le fil(m) d'un amour ouf ? Dans cette seconde moitié, Gilles Lellouche raconte d'abordle retour de Clotaire, enragé par l'injustice, à sa cité et à l'ennui d'une part, la vie aisée de Jackie, mariée à un cadre prometteur dans son secteur - étonnant presque effrayant Vincent Lacoste et son polo rentré dans le pantalon -, de l'autre. Leurs vies parallèles, dans tous ces sens : si différentes, qu'elles ne pourraient jamais se croiser, et à la fois si similaires, qu'ils éprouvent secrètement le même manque obsédant.
François Civil et Vincent Lacoste ne partagent qu'une seule scène, sans doute la plus intense, mais l'un et l'autre jouent en tandem avec la muse de notre nouveau numéro sur l'amour. À leur tour, ils évoquent à Marie Claire leurs rôles complexes, leurs émois d'adolescents et leur vision du couple.
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Marie Claire : "Premier amour" est-il forcément synonyme, comme dans le film, de "dernière innocence" ?
Vincent Lacoste : Je ne pense pas, quoi que... Chaque histoire d'amour est différente et je crois qu'on découvre à chaque fois, avec chacune d'elle, des choses de l'amour. C'est ce qui est beau dans la vie : on peut être surpris. Enfin, je l'espère.
François Civil : À l'adolescence, les premières fois sont inoubliables, on croit qu'il n'y aura plus d'après. On s'imagine en mourir.Si ça se finit en drame, ce peut être dur de retomber amoureux. On peut se durcir. Avoir peur. Notamment des'abandonner à l'autre, ce qui est quand même le but, la chose la plus belle. Et quand ça arrive de nouveau, même beaucoup plus tard, alors, c'est de nouveau le vertige et de nouveau très beau.
Dans le film, Jackie, incarnée par Adèle Exarchopoulos, se range avec votre personnage Vincent Lacoste, qui lui offre une vie confortable, mais dont elle n'est pas amoureuse. Être en couple par confort, l'idée vous angoisse ?
Vincent Lacoste : Pas vraiment, parce que n’ai jamais été dans cette situation, dans laquelle elle se met un peu par dépit. Elle se dit : "Allez, c'est le moment de mener une vie plus adulte, de me ranger". Je crois que c'est l'inverse qu'il faut se dire. Il faut faire les choses avec sa sensibilité, ne pas avoir peur de ne pas rentrer dans une forme de normes. Je ne pourrais pas être avec quelqu'un par confort. Je me mets en couple parce que je tombe amoureux.
François Civil : J'ai pu être Jackie dans ma vie. Ce n'est pas par dépit que je me mets en couple avec quelqu'un, je tombe amoureux, mais il m'est arrivé de voir un certain confort s'installer dans une relation, au bout d'un moment, et de m'être demandé si l'herbe n'était pas plus verte ailleurs. Dans une scène, Jackie lance à son père [interprété par Alain Chabat, ndlr] : "C’est bien, mais est-ce que bien, c’est assez ?" Je crois que beaucoup de gens se posent ou se sont déjà posés cette question, et peuvent comprendre exactement ce qu'elle vit à ce moment-là.
Vincent Lacoste : Il y a toujours une inconnue à faire des choix de toute manière... Tomber amoureux, c'est se raconter une histoire, ensemble. Mais il pourrait y avoir une autre histoire, juste à côté, qui serait peut-être mieux.
"Aimer s'ennuyer avec quelqu'un, c'est déjà la preuve tu es au bon endroit." - François Civil
C'est précisément ce qui est nous bouleverse dans ce film : Jackie et Clotaire continuent de se raconter cette même histoire, tout en menant des vies parallèles. Et pendant que Jackie vit cette relation "de confort" que nous évoquions, votre personnage François Civil, très amoureux, ressent profondément un sentiment d'injustice, de vive colère, dans sa vie de petit gangster. Comment passiez-vous d'un genre à l'autre ?
Ces émotions forment un seul et même personnage et tout est intimement lié.Clotaire ressent cette injustice par rapport au milieu social dont il vient, et à tous ses rêves qui sont brisés, par son père le premier, qui est abattu par la vie et lui dit qu'il ne faut pas s'attacher aux choses belles, au risque d'être forcément déçu. Quand on entend ça petit, ça conditionne.
Pourtant, rencontrer Jackie l'a révélé à lui-même, lui a donné toute sa flamboyance, sa poésie et sa douceur. Lorsqu'il est victime d'une seconde injustice, qui le conduit en prison et à la perte de Jackie, il s'en veut énormément des choix qu'il a faits, d'être passé à côté de ce qu'il y avait de beau dans sa vie.
Dix ans, c'est long, il a fallu théoriser ce qu'il s'est passé dans sa tête durant sa peine de prison... Je trouvais important qu'il passe chez Jackie dès le début de la seconde partie du film, qu'il tombe sur son père et comprenne que leurs retrouvailles sont impossibles, pour jouer cette nouvelle rage et colère.
Amour ouf, amour sain
À leur rencontre, Jackie reproche à Clotaire de manquer de vocabulaire, il apprend alors des centaines de définitions pour elle. Quelle serait celle de "l’amour ouf "? S'oppose-t-elle à celle de l’amour sain ?
François Civil : Non. Justement, pour moi, il faut que l'amour soit sain pour qu'il soit ouf.
Vincent Lacoste : C'est vrai que tout le monde ne pense pas comme ça... On est des gentils, je pense.
François Civil : Tu as l’air sympa toi ! (Ils rient.)
"Quoi de plus déstabilisant d'ailleurs que de vivre un amour fort, pur et sincère ?" Vincent Lacoste
Vincent Lacoste : Je n'ai jamais été très fan des relations toxiques. Je pense être quelqu'un d'assez sain en couple. Pour moi, "sain" n'est pas quelque chose de mauvais. Je pense qu'on peut vivre une grande histoire, très passionnelle, tout en se donnant de l'amour sincère et sain. Quoi de plus déstabilisant d'ailleurs que de vivre un amour fort, pur et sincère ?
François Civil :Un début de définition de "l'amour ouf" serait pour moi : "avoir hâte de s'ennuyer avec la personne". Aimer s'ennuyer avec quelqu'un, c'est déjà la preuve tu es au bon endroit.
Adèle Exarchopoulos, "impressionnante" et "bouleversante"
Vous n'avez qu'une seule scène ensemble, mais avez tous deux pour binôme Adèle Exarchopoulos. Quelle partenaire de jeu est-elle ?
François Civil : Jetrouve que c'est tellement facile de travailler avec Adèle. C'est qu'elle est tellement accessible... Simple.J’ai été impressionné par sa capacité à envoyer du bois en une seconde. Moi, j'ai besoin de me concentrer avant une scène à enjeu, et ce n'est peut-être pas une bonne méthode, parfois, il faut se laisser traverser... Mais elle, elle arrive à convoquer des émotions en un claquement de doigts. Adèle est une actrice incroyable.
Vincent Lacoste : On a l'impression que l'émotion surgit d'elle. C'est évidemment l'une des choses les plus difficiles à faire pour un acteur ou une actrice. Et elle, elle joue avec tellement d'aisance. Elle est impressionnante, bouleversante.
L'Amour ouf, de Gilles Lellouche, avec Mallory Wanecque, Malik Frikah, François Civil, Adèle Exarchopoulos, Vincent Lacoste, Alain Chabat, Raphaël Quenard, Jean-Pascal Zadi, Élodie Bouchez, Karim Leklou, Benoit Poelvoorde... En salle le 16 octobre.
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